Vincent Calais et Stanislas Deprez, chercheurs associés à Ethics ont co-écrit un ouvrage avec Paulo Rodrigues, maître de conférences “Le corps des transhumains” aux éditions ERES
Table des matières
Salomé BOUR : Le corps augmenté comme nouveau lieu d’expression de soi
Stanislas DEPREZ : De la honte du corps au désir d’être unique
Bernard VICTORIA : Les corps parlants, ennemis désignés du trans humanisme
Frédéric TORDO : Le Moi – cyborg : l’homme augmenté est-il un sujet augmenté ?
Jean-Hugues DECHAUX : La programmation génétique du corps : entre responsabilité parentale et pouvoir médical
Julien CUEILLE : Du bio pouvoir à l’homme augmenté : une psychanalyse anthropologique de l’individu incertain
Randa ABI-AAD : Le dépérissement de l’humain. Propos sur l’anthropologie philosophique de Günter Anders
Vincent CALAIS : Le corps des transhumains
Liste des contributeurs
Randa ABI-AAD : Vice-Directrice du Centre Supérieur de la Recherche. Université Saint-Esprit de Kaslik
Salomé BOUR : Doctorante en Philosophie, Université François-Rabelais, Tours et membre du Centre d’Ethique Contemporaine.
Vincent CALAIS : Consultant. Chercheur associé à l’Université Catholique de Lille. ETHICS EA7446
Julien CUEILLE : Enseignant de philosophie. Doctorant en psychanalyse à l’Université de Montpellier 3
Jean-Hugues DECHAUX : Docteur en sociologie. Professeur des universités à l’Université Lumière Lyon 2. Centre Max Weber (UMR 5283)
Stanislas DEPREZ : Docteur en philosophie. Maitre de Conférences à l’Université Catholique de Lille.
Paulo RODRIGUES : Enseignant chercheur à l’Université Catholique de Lille.
Frédéric TORDO : Docteur en psychologie clinique. Psychanalyste. Membre fondateur de l’IERHR (Institut pour l’Etude des Relations-Homme-Robot)
Bernard VICTORIA : Docteur en Psychologie. Psychanalyste. Chercheur associé au L.C.P.I
Argumentaire
Qu’est-ce qui vous assure, vous, lecteur, d’être humain ? D’où tirez-vous l’assurance de ne pas être un robot ou une machine à calculer ? D’où vous vient la certitude de ne pas être un monstrueux mutant ?
Rappelez-vous l’histoire de Rick Deckard, le « Blade Runner » du film de Ridley Scott.
2019 : dans un futur imminent dont le mode manque à nos conjugaisons, un Los Angeles aux cieux obscurs est le théâtre banal et apocalyptique d’une nouvelle chasse façon Zaroff : un enquêteur/chasseur/ policier est chargé de traquer des androïdes (appelés « répliquants »), et de procéder à leur retrait (« retirement ») – les termes de meurtre ou de mise à mort ne sont pas applicables à ces simulacres d’humains devenus trop performants, qui, par suite d’une mutinerie contre le pouvoir terrestre qui les déléguait à la colonisation d’exo planètes, ont perdu le droit d’exister.
Deckard tombe amoureux d’une femme qui se révèlera elle-même une répliquante, avant que le soupçon ne naisse, en lui et en nous : ne serait-il pas lui-même un répliquant qui s’ignore ?
Ainsi en va-t-il de celles et ceux qui, à des titres divers – recherches universitaires ou expérimentations techno scientifiques ; poursuite d’un idéal ou d’un projet mégalomaniaque ; lobbying politique ou marketing commercial ; idéologie du genre ou performance artistique – s’éprouvent concernés par les sens et les non-sens qu’appelle le mot : « transhumanisme », et ses dérivés et synonymes – post-humains, transhumains, surhommes, et autres cyborgs.
Bien souvent, ces militants ou adversaires de la transhumanité n’ont aucun doute sur leur identité anthropologique, sur le sentiment intime de leur appartenance à l’espèce dite humaine ; mais, qu’ils la déplorent ou qu’ils la souhaitent, qu’ils la craignent ou qu’ils l’espèrent, l’advenue du post-humain, du sur-homme, du transhumain, revêt le plus souvent à leurs yeux un caractère inéluctable.
Certes, à présent, au présent, « nous » sommes encore humains (trop humains disait Nietzsche).
Mais demain ou après-demain, dans peu de temps ou dans longtemps, dans ce « futur imminent » qui fut aussi celui du Royaume des Cieux et du Jugement Dernier, du temps que ces syntagmes avaient en Occident un sens qui n’était pas seulement imaginaire, qui serons-nous, que serons-nous ? L’homme ce monstre d’inquiétude, selon le mot de Péguy, que deviendra-t-il ?
Et peu à peu le doute s’insinue : cette humanité dont le paradigme, plus ou moins idéalisé, a structuré le rapport des Occidentaux à eux-mêmes et aux autres ; cette humanité dont en Occident on a tiré à la fois des disciplines dites scientifiques et des normes de Droit, des pratiques artistiques et des projets politiques, des valeurs morales et des types de personnes ; cette humanité de laquelle « nous autres Français », pour reprendre la formule ironique de Bernanos, nous nous éprouvons à la fois partie prenante et partie première, hérauts et exemple, moteur et modèle ; cette humanité existe-t-elle encore ? A-t-elle jamais existé et si oui depuis quand ? Et si oui encore, quels sont ses traits distinctifs ? Ces traits sont-ils universels (au sens de : identiques toujours et partout) ? Constate-t-on dans la modernité un effacement ou une déformation, un délitement ou une transformation de ces traits ?
Ces questions, qui s’inscrivent dans la continuité de l’interrogation portée par Michel Foucault il y a 50 ans, les auteurs de cet ouvrage collectif les reprennent et les transforment, à partir de cet objet intime et toujours étranger que notre corps constitue pour chacun et pour les autres.
C’est donc du corps qu’il s’agira ici, au sens non seulement du corps propre, mais également du corps pulsionnel, imaginaire, malade etc.: Quelles projections anthropomorphiques sont à l’œuvre dans les inventions technologiques de l’intelligence artificielle et des biotechnologies ? Quels sont les enjeux subjectifs de la demande de maîtrise technologique sur le corps en matière de génie génétique, prothèses, ou lutte contre le vieillissement ? Comment les dispositifs machiniques interfèrent-ils dans la vie affective du sujet et la construction de son image ? Quels rapports de pouvoir sont impliqués dans les techniques génétiques et les appareillages prothétiques ?
C’est à l’élaboration de ces interrogations que concourt ce travail collectif.
Dans la continuité de l’inspiration de Jean-Michel Besnier (Demain les posthumains, Fayard, 2010) et Franck Damour (La Tentation transhumaniste, Salvator, 2015), nous envisageons le transhumanisme comme symptôme.
Au-delà de l’idéologie militante et des effets de propagande qu’elle implique, le terme « transhumanisme » désigne ici des courants et des idées, mais également des pratiques industrielles et des stratégies commerciales, des technologies médicales et des dispositifs militaires, bref : un ensemble de discours et de pratiques qui mettent en cause, implicitement ou explicitement, le statut anthropologique du corps dans la modernité.
Cet essai de pensée collective s’adresse à vous, lecteur, sujet/objet de ces discours et de ces pratiques, et que ces discours et ces pratiques concernent dans son corps.
Au fait : qu’est-ce qui vous assure, vous, lecteur, que l’auteur (collectif) de cet essai est humain ?
Welcome to the transhumans!