Une fin de vie plus humaine : le vœu de Paulo Rodrigues

Paulo Rodrigues est théologien et éthicien. En 2015, il a présenté sa thèse en théologie à l’Université Catholique de Louvain (Belgique). Ce qui suscitait alors son intérêt, c’était la question des rationalités contemporaines (la théologie, la science, la technique, la philosophie, l’éthique…) et leur articulation. Le chercheur s’est ensuite spécialisé, à l’Universiteit Katholiek Leuven (Belgique), dans le domaine de la bioéthique, ce qui l’a conduit à aborder les questions qui le préoccupent aujourd’hui : les questions éthiques de la fin de vie, en particulier la sédation profonde et continue pour la souffrance existentielle.

C’est son travail sur l’éthique de la fin de vie qui a conduit Paulo Rodrigues à rejoindre l’Université Catholique de Lille. Il y a rejoint le Centre d’éthique médicale (CEM), qui fait partie du laboratoire de recherche ETHICS EA 7446. Le chercheur y poursuit sa spécialisation en validant un doctorat en sciences biomédicales à partir d’articles qu’il écrit en revues médicales internationales sur la sédation profonde en réponse à la souffrance existentielle. En clair, certains patients en fin de vie ne souffrent plus physiquement car leur douleur physique est contrôlée par les équipes soignantes. Mais ils ne trouvent plus de sens à leur vie, à cette période de fin de leur existence, souffrent de désespoir et demandent parfois à en finir le plus rapidement possible ou à s’endormir pour ne plus souffrir.

Une question controversée

« La question que posent mes recherches, explique Paulo Rodrigues, c’est celle des arguments pour et contre le recours à cette pratique de sédation profonde en réponse à cette souffrance. » En effet, quelle réponse apporter à des patients qui subissent cette souffrance ? La sédation profonde est-elle une intervention adéquate ? D’autres approches peuvent lui être substituées, telles que l’aide psychologique ou un accompagnement spirituel. Le chercheur est lucide : « il s’agit d’une question controversée », même, d’ailleurs, au sein de la communauté des soignants et médecins. Car plonger le patient dans une sédation profonde provoque sa « mort sociale » : il ne va plus communiquer, il ne dira plus ce qu’il ressent, ce qui pose, selon lui, « pas mal de problèmes », par exemple la perte complète d’autonomie. « Il y a aussi des questions éthiques qui se posent par rapport à cette question. »

La perspective de la quête de sens

Comment en vient-on à creuser de tels sujets ? Tout d’abord, par l’intermédiaire d’un cercle de relations et en saisissant des opportunités. « J’étais en contact avec un collègue qui travaille au Centre d’éthique médicale, Dominique Jacquemin », commence Paulo Rodrigues. Son homologue chercheur était déjà un collègue à l’université de Louvain. C’est à travers les projets qu’ils ont menés ensemble qu’ils en sont venus à aborder l’éthique de la fin de vie. « Mais cela rejoint aussi mes intérêts, complète le chercheur, parce qu’en tant que théologien, je me pose la question du sens. Je pense que cette perspective de théologien me permet de contribuer à mieux comprendre la complexité des questions de fin de vie. Parce qu’elles renvoient à l’horizon du sens, à des valeurs, à une certaine représentation de la vie, de la finitude, de la mort, de l’au-delà de la mort… et aux convictions religieuses et spirituelles autour desquelles gravitent aussi ces questions. »

Comment observer avec distance ce qui nous concerne directement ?

Se pencher sur l’éthique de fin de vie, cela suppose un certain itinéraire personnel. En effet, la question de la fin de vie concerne tout un chacun. Tout le monde, à un moment ou à un autre, s’interroge sur ce destin qui est celui de chaque être humain, celui du sens de son existence et de son devenir après sa mort. « Certes, cette question ne se posera pas de manière systématique chez tout le monde. Ou tout le monde n’essaiera pas de comprendre le sens de son existence en réelle profondeur, nuance le chercheur. Mais nous sommes tous concernés. » Il faut donc être capable d’un certain recul pour étudier ce sujet de manière appropriée, c’est-à-dire le plus sereinement et objectivement possible. « La méthode consiste, pour cela, à effectuer une revue systématique de la littérature biomédicale pour savoir quels sont les arguments pour et contre que posent les médecins et soignants. »

L’exigence d’objectivité

Il s’agit donc d’observer le terrain, de manière empirique et avec objectivité. Une fois rassemblés les arguments que recense la littérature biomédicale, il s’agit de voir quels sont les principes, les valeurs, les concepts qui en découlent. « Ensuite, on va réfléchir sur ce que l’on a trouvé pour essayer de mieux comprendre, de construire un paradigme des manières différentes de comprendre la situation éthique. » Puis vient le temps de l’interprétation des résultats, pendant lequel le chercheur s’appuie sur son bagage de théologie, d’éthique et de philosophie. « Lorsque je travaille, même si ces questions sont universelles et me concernent, je dois conserver une certaine distance pour analyser ce qui est fait sur le terrain. Bien sûr, j’ai mes propres convictions, mais je dois les séparer du résultat de ma recherche. »

Une « accélération de l’histoire »

Selon Paulo Rodrigues, ce qui fait notamment la particularité de notre temps, c’est une accélération de l’histoire. En effet, tout va très vite, tout change très vite… « Donc nos cadres stables ont disparu, estime l’éthicien. Voilà qui pose déjà une question sur le devenir historique collectif et personnel. Nos cadres ne sont plus stables depuis des décennies. Ils changent largement. »

Cette accélération constituerait une occasion supplémentaire de se poser la question du sens, c’est-à-dire de l’orientation, sur le plan individuel ou collectif, historique, que l’on donne à sa vie et à ses actes. « Car la question du sens se décline de plusieurs façons : d’une part, le sens de ma vie, et d’autre part, le sens de l’histoire et d’une collectivité. Donc il faut articuler cette question à plusieurs niveaux. » Selon le chercheur, les gens se sentent toujours concernés par la question du sens, même s’ils ne la thématisent pas de manière systématique. « Tout le monde se demande ce qu’il fait ici et ce qu’il deviendra. Je pense que notre temps est affecté par ces interrogations et que ce n’est pas facile d’y répondre. Parce qu’il y a tellement de possibilités, de voies, de choix, que ça pose des questions, notamment sur les critères et les principes pour orienter cette vie et son action. »

Une crise du sens ?

L’Europe, selon Paulo Rodrigues, s’est construite sur trois piliers : la philosophie grecque, le droit romain et le judéo-christianisme. De la conjugaison des apports de ces trois piliers seraient nées des valeurs, une certaine compréhension de la vie, dont nos institutions sont encore marquées aujourd’hui : « L’aide sociale, la prise en charge des malades, précise-t-il, ce sont des idées qui ont été portées, à un moment donné, par l’institution ecclésiale et comprises comme un « service » qui découle d’une exigence de vie chrétienne. L’évolution historique a fait que la plupart de ces services d’aide sociale, de santé, ont été repris par l’État, qui reste donc marqué par une certaine manière de faire et par certaines valeurs qui ont été prônées et défendues par le christianisme, telles que la valeur d’une personne, l’importance de respecter sa dignité… tout cela découle de ce que l’on pourrait appeler un certain humanisme chrétien. » Selon notre chercheur, ces valeurs initialement chrétiennes se sont sécularisées, c’est-à-dire qu’elles se sont séparées de l’horizon qui les a engendrées, mais qu’il en reste une trace dans l’époque contemporaine, dans l’histoire et même dans l’histoire des idées.

Les religions comme voies de sens

Qu’il s’agisse du bouddhisme, de l’islam, du christianisme, de l’hindouisme ou des spiritualités, ces voies répondent précisément à la question du sens en ouvrant à la personne humaine « un horizon qui va au-delà de la pure immanence, qui renvoie à un autre ordre des choses ». Selon Paulo Rodrigues, « dans le cadre, par exemple, du christianisme, on considère que la personne humaine n’est pas un être pour la mort mais un être pour la vie. Et pour une forme de complétude qui lui viendra non par lui-même, ni d’autrui, mais d’un absolu, une forme de Transcendance. » Cette vision est certainement, pour certaines personnes, une clé de lecture pour orienter l’action, la vie, l’existence, et qui permet d’établir des critères de décision.

Mais si les cadres religieux ont longtemps été communs, c’est moins le cas aujourd’hui. « D’autre part, ajoute le chercheur, il faut comprendre qu’une religion propose aussi une anthropologie, c’est-à-dire une certaine manière de comprendre la personne humaine. » Or, selon l’éthicien, nous n’avons pas une anthropologie partagée, c’est-à-dire la même vision de la personne humaine, mais plusieurs discours sur l’être humain. Cela induit des questions pour l’éthique qui renvoie, précisément, à la visée du bien et au sens de l’action.

L’affrontement de différentes visions de la personne humaine

La diversité des cadres de référence anthropologiques qui se partagent l’espace commun complexifie donc aujourd’hui les prises de décisions d’ordre éthique. « Il y a des anthropologies matérialistes qui réduisent, par exemple, la personne humaine à une matière animée et vivante, en processus, mais c’est tout, observe le chercheur. Il y a des anthropologies dualistes qui distinguent corps et psyché, et qui estiment que cette dernière n’est pas réductible à la physiologie cérébrale. ll y a des anthropologies de type religieux qui en distinguant corps, psyché et esprit ne réduisent pas l’esprit à la vie psychique… Ces différentes visions de la personne humaine configurent certainement différentes manières de vivre et d’exister dans le monde. Et aussi d’orienter son action. »

Une évolution du rapport à sa vie… et à sa mort

La manière dont l’être humain conçoit son existence et la fin de sa vie a évolué au fil des siècles. La mort, jadis beaucoup plus visible, est aujourd’hui beaucoup plus confidentielle, mais aussi beaucoup plus « contrôlée ». Selon la chronologie développée par Paulo Rodrigues, la mort était, au XIème siècle, quelque chose de familier. « On mourait tout simplement. » Dès le XIIème siècle, elle était devenue « une affaire personnelle ». Le mourant commençait à organiser sa mort. À la fin du XVIIIème siècle, ce qui posait problème, c’était la mort de l’autre, la perte de l’être cher. Le XXème siècle est celui de la médicalisation de la mort. « La mort ne se passe plus à la maison, entouré de sa famille et de ses voisins. On commence à mourir à l’hôpital. »

Selon le chercheur, la médicalisation de la mort, c’est ce qui nous a rendus moins familiers avec la mort, parce qu’elle ne se déroule plus devant nos yeux. On la cache derrière des murs d’hôpital. Pourquoi ? « Parce que l’événement de la mort heurte notre illusion d’un bonheur infini, interprète l’éthicien. Parce que la mort remet en question nos rêves et nos illusions et confronte chaque personne humaine à sa propre finitude, qu’elle ne veut pas voir. »

L’illusion de maîtrise

« Nous sommes désormais à l’époque d’une construction de la mort. L’individu décide de sa manière de mourir. Directives anticipées, sédation profonde, euthanasie, suicide assisté… sont des formes contemporaines de construction de la mort, d’une maîtrise sur la mort. Car la mort doit être maîtrisée… comme tout le reste. » C’est donc désormais dans l’illusion de la maîtrise que l’être humain contemporain envisage sa propre fin, en choisissant l’heure et la méthode de sa mort. « Cela pose de nouveaux problèmes, car la médecine est sollicitée pour aider à mourir et construire la mort », constate notre chercheur. Touchant à l’éthique, à la politique, au droit, cette construction renvoie aussi, pour Paulo Rodrigues, à la question du sens, car « la manière dont on meurt dit quelque chose de la manière dont l’on vit ».

Cette illusion de maîtrise sur la mort provient, selon Paulo Rodrigues, d’une certaine manière de voir la science et la technique. « Il y a là une certaine prétention, une démesure. La maîtrise sur soi, sur la mort, sur la vie et sur une forme d’immortalité que l’on peut se donner sur terre ou dans le monde virtuel, c’est, au fond, la négation de la mort. En augmentant l’humain, en accroissant ses pouvoirs, on supprime l’horizon de la mort et on vise à l’immortalité, virtuelle ou pas, peu importe. »

Un sujet universel

Comme le souligne Paulo Rodrigues, beaucoup de personnes s’intéressent aux questions éthiques parce qu’elles se sentent touchées, concernées, dans leur vie personnelle, par les enjeux qu’elles recouvrent. « Tout le monde va mourir un jour. Tout le monde a vu un proche à l’hôpital, qui a passé une fin de vie difficile. Tout le monde est affecté par cette réalité universelle. » Parfois, ajoute le chercheur, on peut être appelé à prendre des décisions pour ses parents ou d’autres personnes. Toutes ces questions sont donc assez naturellement sujettes aux polémiques. Chacun a son opinion et saisit l’occasion d’avoir un expert sur le sujet pour la partager et échanger.

Un parcours d’une rare richesse

Paulo Rodrigues a suivi un cheminement extrêmement diversifié et riche. À l’origine, le chercheur est en effet passionné de physique et de mathématiques. Il s’est donc assez naturellement trouvé dans un cursus d’ingénieur civil et électricien. « J’ai même travaillé dans les systèmes d’information d’une bibliothèque de l’Université de Porto, en tant qu’ingénieur », se souvient-il. Mais, virage à 180°, le chercheur renonce à cette carrière pour étudier la philosophie et la théologie. « J’avais envie de mieux comprendre l’humain, explique-t-il. Le métier d’ingénieur me permettait de comprendre les systèmes. Mais c’est mon désir de mieux me comprendre, de mieux comprendre la personne humaine, qui m’a conduit aux études de philosophie et de théologie. Car c’est là que se pose la question du sens, de manière plus réflexive et systématique. »

L’éthique ? Jamais il n’y avait pensé

Ses études, le chercheur portugais les a menées, jusqu’au master de théologie, en Espagne, à Salamanque, avant de conduire sa thèse en théologie fondamentale en Belgique, à Louvain-la-Neuve. « Étant concerné par la question du sens, à travers mes études de théologie, je suis arrivé assez naturellement à l’éthique, qui vise à donner une orientation à l’action. Elle pose aussi la question du sens et vise le bien. » Jamais, pourtant, l’ancien ingénieur n’avait imaginé devenir éthicien. « C’est peut-être même la dernière chose que j’aurais choisie, étant donnée la complexité du domaine…, confesse-t-il. Mais les rencontres, les possibilités qui s’ouvrent dans le chemin de chacun font que j’ai emprunté cette voie, tout en restant théologien et en sachant séparer les domaines et la manière de faire. »

Des conséquences sur toute la société

La raison pour laquelle Paulo Rodrigues estime que l’éthique est un domaine complexe réside dans l’étendue des problématiques posées. « La réponse aux questions éthiques n’est jamais « oui » ou « non », explique le chercheur. Les problèmes éthiques sont au carrefour du droit, de la médecine, de la science, de la philosophie et de théologie… Il faut donc les penser de manière plus large et tâcher d’en comprendre tous les enjeux. » Selon lui, il faut se questionner quant aux conséquences des décisions qui sont prises, notamment sur la société dans son ensemble. « Il ne faut pas se contenter du point de vue d’un individu concerné, mais tenir également compte de celui de la collectivité. Car les décisions qu’on va prendre maintenant vont affecter les personnes pour le futur. »

Paulo Rodrigues Portrait

L’étude des sciences « dures » lui sert toujours

Celui qui exerçait la profession d’ingénieur, passionné de physique et de mathématiques, a conservé de cette vie antérieure une certaine façon de faire qui lui sert toujours aujourd’hui : « Mon bagage de sciences dites « dures » me permet d’aborder les sciences humaines avec un souci d’objectivité et de rigueur méthodologique. Et ça, c’est un atout, c’est quelque chose qui reste de mon parcours d’ingénieur. »

La question de la méthodologie est d’ailleurs assez centrale dans l’intérêt de notre scientifique. « On va créer un certificat de méthodologie de la recherche en éthique, explique Paulo Rodrigues. Je reste toujours intéressé par ce sujet de la méthodologie, c’est-à-dire la « manière de faire  ». La méthodologie, selon sa définition, c’est « un chemin qui conduit de la question à la réponse mais sous une forme justifiée et contrôlée ». La solution ou la réponse apportée doit donc avoir emprunté un cheminement bien rigoureux.

Pour qui fait-il ces recherches ?

Bien sûr, un sujet tel que celui de la sédation profonde, actuel, très discuté, a un impact sociétal sur les décisions prises en fin de vie, et même politiques, par après. C’est en tout cas le vœu que formule Paulo Rodrigues. Mais avant même d’espérer une remontée à cet échelon décisionnaire, le chercheur souhaite avoir une influence sur le monde médical lui-même. « J’écris surtout pour les médecins et les soignants », explique-t-il. Et il adapte, en conséquence, sa méthodologie et même la manière de rédiger ses articles, afin que ceux-ci rencontrent le plus possible les préoccupations du monde médical. « Je fais de l’éthique médicale, donc mon but, déclare l’éthicien, c’est d’aider les médecins et les soignants dans leur pratique de chaque jour, parce qu’ils sont amenés à discuter de cas et à prendre des décisions. Je pourrais écrire des articles un peu plus philosophiques, un peu plus élaborés, et je le fais aussi dans un second temps. Mais en premier lieu, je consacre mes résultats à la pratique médicale. »

Une vie marquée par l’international

Paulo Rodrigues est portugais mais il est né au Mozambique (1973), une ex-colonie portugaise située au sud-est de l’Afrique. « J’ai mené la plus grande partie de ma vie au Portugal, précise le chercheur, mais j’ai aussi suivi des études en Espagne, puis en Belgique. » Aujourd’hui installé en France, l’intellectuel maîtrise les langues portugaise, espagnole, française et anglaise au niveau académique. « Et je peux lire l’italien, complète-t-il. D’ailleurs, c’est une richesse dans l’analyse des textes. On devient beaucoup plus sensible aux langues, aux différences culturelles… parce que parler une langue, c’est entrer dans un monde culturel. Je fais toujours l’effort d’entrer dans ce monde en parlant la langue de la personne à laquelle je m’adresse. » Suivant cette logique, il a mené l’ensemble de ses travaux de recherche dans la langue des pays dans lesquels il se trouvait. « En Espagne, j’ai écrit mon mémoire en espagnol. Et j’ai rédigé ma thèse en français. » Désormais, dans l’intention d’atteindre le public le plus large possible, Paulo Rodrigues mène l’essentiel de ses travaux de recherche en anglais.

Quand il se lance dans une thématique, le chercheur va puiser dans la littérature internationale anglophone, francophone et de toutes les langues qu’il est capable de lire. « Cela reste, bien sûr, assez confiné à l’Europe, à l’Amérique du Nord et à certains travaux japonais lorsqu’ils sont rédigés en anglais. L’anglais reste, de fait, la langue dans laquelle la plupart des articles de mon domaine sont écrits, précise-t-il. Puis vient le français. »

La culture au cœur de ses travaux

L’éthique de la fin de vie est un sujet qui laisse apparaître des différences culturelles perceptibles d’un pays à l’autre. « Elles sont particulièrement repérables entre le monde francophone et le monde anglophone », selon Paulo Rodrigues, et apparaissent jusque dans la manière de faire de l’éthique. « C’est difficile, en revanche, d’exprimer clairement quel est précisément l’impact de la culture dans ces nuances. Mais nos décisions, éthiques ou pas, ont toujours un horizon culturel. Elles se réfèrent à certaines valeurs, à une histoire des idées aussi. Le monde anglophone est, par exemple, beaucoup plus pragmatique que le monde francophone, héritier de Descartes et d’une certaine philosophie cherchant plutôt à poser des fondements. »

Vers une méthodologie d’articulation des disciplines

Paulo Rodrigues espère parvenir à maintenir un équilibre entre ces deux mondes qu’il associe, celui de la théologie d’une part, et de l’éthique, particulièrement médicale, d’autre part. « Pour le moment, je traite les questions de fin de vie, mais je m’intéresse à toutes les questions bioéthiques, y compris celles liées au début de la vie. Je n’ai pas l’intention de passer toute ma vie sur la sédation profonde. Je me laisse solliciter par ce qui se présente. »

Le parcours de Paulo Rodrigues, jalonné de sciences dures, de philosophie, de théologie, d’éthique et de bioéthique, est en soi pluridisciplinaire. Au quotidien, il travaille aussi avec différents types d’interlocuteurs, médecins, théologiens, philosophes… Les « rationalités contemporaines », la science, la technique, le droit, la philosophie, l’éthique… sont, selon le chercheur, « des formes dans lesquelles la raison se décline. Elles ont une certaine normativité interne, elles fonctionnent d’une certaine manière. Ce sont des horizons qui se croisent. Il faut savoir poser les différences, mais aussi savoir les articuler, faire l’effort de distinguer sans séparer, mais sans confondre non plus. Et je cherche à trouver la bonne méthodologie pour y parvenir. »

Le chercheur dispose d’un atout de taille pour cela : en ayant « traversé ces rationalités », en ayant fait du langage une véritable priorité, « parce que parler une langue, c’est entrer dans un monde culturel », tant dans son rôle d’expatrié que dans celui de chercheur pluridisciplinaire, il est accoutumé à comprendre l’autre dans son langage et dans son monde de référence.