Rozenn Le-Berre est philosophe, enseignante-chercheuse et maîtresse de conférences au Centre d’Ethique Médicale de l’Université Catholique de Lille. Son champ de recherche, d’intervention et de formation s’articule autour des soins palliatifs et du deuil. Une approche sensible et un regard pluriel qui enrichissent le débat sur l’approche globale de la fin de vie.

Dans les services médicaux d’urgence et de soins palliatifs

Très jeune, Rozenn Le-Berre souhaitait déjà devenir philosophe, séduite par la liberté qu’offrent les expériences de pensée, un horizon réflexif illimité, à l’instar de celui qu’elle contemplait depuis la Presqu’île de Crozon en Bretagne où elle a grandi. Après une prépa hypokhâgne à Rennes, elle étudie la philosophie à l’Université de Lille. « L’époque antique et les philosophes grecs m’ont toujours inspirée, indique-t-elle. Les « Fragments » d’Héraclite, qui ont nourri ma réflexion, continuent de m’accompagner aujourd’hui », comme en témoigne la présence de l’ouvrage sur son bureau à l’Université.

Elle suit les cours d’Ethique du vivant dispensés à Lille par Frédéric Worms. A la croisée de la philosophie morale et d’enjeux concrets, c’est une philosophie du soin appliquée au champ de la santé. Peut-être parce qu’elle a été touchée de près par la perte brutale de personnes proches lorsqu’elle avait 21 ans, Rozenn Le-Berre envisage un travail de philosophie en contact direct avec la réalité du monde, dans les services médicaux d’urgence et de soins palliatifs.

La philosophie dans le monde de la santé

La jeune doctorante en philosophie choisit donc une unité de soins palliatifs comme lieu d’intervention pour sa thèse « Le deuil : expérience et réception collective ; de la narrativité à l’accompagnement », qu’elle soutiendra en 2013 au Centre d’Ethique Médicale (C.E.M.) de l’Université Catholique de Lille. Son intervention sur le terrain était une démarche encore originale à l’époque, comme le fut la supervision de sa thèse par un binôme de directeurs : Frédéric Worms, philosophe et professeur d’Université à Lille et Pierre Boitte, sociologue, philosophe, docteur en santé publique-bioéthique et enseignant au C.E.M.

La thésarde se frotte rapidement à l’enseignement en donnant des cours de philosophie aux étudiants en santé tout en conduisant, en parallèle, ses recherches universitaires sur le deuil et en tant qu’observatrice en unité de soins palliatifs. Un avant-goût du triptyque d’activités mutuellement enrichissantes qu’elle exerce aujourd’hui dans sa pratique professionnelle : elle est enseignante-chercheuse et maîtresse de conférences au sein du Centre d’Ethique Médicale (CEM/EA 7446 Ethics) et responsable pédagogique du Diplôme InterUniversitaire de Soins Palliatifs (DIUSP).

Un regard pluriel autour du deuil et de la fin de vie

Qu’est-ce ce que vivre un deuil ? Comment faire face à la perte d’un être cher ? Quels questionnements et bouleversements existentiels provoque-t-il ? Comment réorganise-t-on sa vie ? Qu’est-ce que « faire son deuil », tant du point de vue intime que social ? Pourquoi les récits de deuil ont-ils tant de succès ? Y recherche-t-on une consolation, une résonnance dans le vécu d’un autre ? Rozenn Le-Berre se laisse traverser par ces questions et y apporte un regard transversal, scientifique, psychologique, sociétal et littéraire. A la fois empreint de sa propre expérience et des témoignages qu’elle recueille au fil du temps dans les unités de soins palliatifs.

« La mise en récit du vécu des patients »

Son approche pluridisciplinaire est facilitée par l’écosystème du Groupe hospitalier de l’Université Catholique, qui lui permet d’élargir sa recherche sur le deuil aux thèmes de la fin de vie et des soins palliatifs, de la confrontation avec la maladie grave et de la mise en récit du vécu des patients. « L’enseignement des sciences humaines dans le champ de la santé est un mouvement globalement récent mais qui a toujours été très présent à l’Université Catholique de Lille, précise-t-elle. Il répond également au besoin de réflexion des soignants sur leurs pratiques, soignants qui rejettent l’idée de devenir seulement des techniciens de la santé. »

Former à la prise en charge de la souffrance globale

Responsable pédagogique du Diplôme InterUniversitaire de Soins Palliatifs, Rozenn Le-Berre accompagne étudiants et professionnels de la santé dans leur demande de formation – initiale ou continue – vers une prise en charge de la souffrance globale des patients en fin de vie ou gravement malades. Avec la coloration spirituelle et d’éthique propre au Centre d’Ethique Médicale de l’Université, où patients et soignants prennent ensemble conscience de la finitude pour mieux accompagner le sentiment de vie, le vivant au présent.

« Apprendre à écouter les patients et leurs familles »

« Les soignants ont cette demande d’apprendre à écouter les patients et leur famille et à accueillir leurs questions liées à la mort, au deuil, à la maladie grave, rapporte l’enseignante-chercheuse. Ils souhaitent améliorer la prise en charge de la douleur globale : physique, psychique, sociale et spirituelle. »

L’avant-projet de loi sur la fin de vie est très mal reçu

Récemment nommée rédactrice en chef de la revue « Médecine palliative », Rozenn Le-Berre souhaite contribuer à la diffusion de cet art du soin palliatif et de cet enjeu important d’humanité, à l’heure où l’avant-projet de loi sur la fin de vie, mentionnant « une aide active à mourir » et « un secourisme à l’envers », est très mal reçu par les soignants. Ils ont, d’après elle, été peu associés à ce projet de société, qu’ils considèrent comme une totale inversion de leur mission de soins.

« On peut s’interroger sur notre système de santé en crise et le manque d’application des lois sur la fin de vie de 1999, de 2005 et 2016, explique-t-elle. Nous manquons de soignants formés aux soins en fin de vie, de structures pour les soins hospitaliers et à domicile Et certaines régions, notamment les DOM-TOM, ne sont même pas encore dotées d’unités de soins palliatifs. »

La détermination de la philosophe à faire entendre les voix et la réalité du terrain, à enrichir par un regard pluriel et interdisciplinaire la pratique des soins palliatifs, à maintenir le cap d’une approche éthique sur la fin de vie et à en faire émerger de nouvelles recherches ne s’en voit alors que renforcée.

Bibliographie de Rozenn Le-Berre

Raconter la maladie, Des mots pour traverser le chaos, Ed. Mardaga

Manuel de soins palliatifs, 5ème édition. Ouvrage coordonné par Rozenn Le-Berre, Ed. Dunod

Dire la maladie, avec Martin Dumont, Presses Universitaires de France

L’expérience du deuil, Presses Universitaires du Septentrion.

 

 

 

Propos recueillis par Lise Dominguez

Contact : Rozenn.LEBERRE@univ-catholille.fr