Pierre Giorgini distingué pour « La Tentation d’Eugénie »

Pierre Giorgini, président-recteur de l’Université Catholique de Lille (UCL), sera le récipiendaire, en novembre prochain, du Prix spécial de la section Économie politique, statistique et finances de l’Académie des sciences morales et politiques. Celui-ci lui est attribué pour son ouvrage « La Tentation d’Eugénie. L’humanité face à son destin », Montrouge (Bayard), 2018.
Ce prix, le président-recteur de l’UCL le considère comme la reconnaissance du sérieux de son travail de réflexion, mais aussi comme le témoignage de l’environnement stimulant que constitue l’université qu’il préside.

Pierre Giorgini, dans son bureau de l’Université Catholique de Lille

« La Tentation d’Eugénie est le résultat du bain dans ce monde intellectuel [qu’offre l’Université Catholique de Lille]. » C’est ainsi que Pierre Giorgini, pour qui les questions d’intelligence artificielle et de transhumanisme ne sont néanmoins pas nouvelles, définit le caractère presque collectif de son travail. « Aliocha Wald-Lasowski et Stanislas Deprez ont pas mal contribué à cet ouvrage, même si j’en ai écrit, comme ils le savent, la plus grande partie. » Ils se joindront donc à Pierre Giorgini – ainsi que Paul Jorion qui a écrit la préface –  le 12 novembre prochain, sous la Coupole du Palais de l’Institut de France, pour la remise officielle de cette distinction.

L’Université Catholique : un écosystème stimulant

L’Université Catholique de Lille, pour son président-recteur, constitue « un gisement, un terreau », un environnement extrêmement stimulant pour penser. Lors des nombreux événements, séminaires, conférences organisés, notamment par le laboratoire de recherche labellisé ETHICS EA 7446, Pierre Giorgini enrichit sa réflexion. Ses échanges avec la communauté de chercheurs dont il fait partie y contribuent également : « Combien de livres n’ai-je pas lus qui m’ont été conseillés, soit par Bruno Cazin, soit par Malik Bozzo-Rey, soit par David Doat », illustre-t-il.

D’autres, à l’instar du philosophe belge Dominique Lambert ou de Thierry Magnin, recteur de l’Université catholique de Lyon, l’ont relu avant publication… et émis de précieuses remarques. « La chance que j’ai, se réjouit Pierre Giorgini, c’est d’avoir tout un réseau d’amis qui sont à la fois prêts et parfois intéressés à relire mes épreuves et à me faire plein d’alertes qui me redemandent, en général, autant de travail que le temps que j’ai mis à produire un premier jet. Ce sont souvent des alertes du type « Tu ne peux pas écrire ça si tu n’as pas lu Untel». » La lecture des auteurs ainsi conseillés prend du temps, et parfois remet en question toute la logique du livre. « Ça m’oblige à une réingénierie totale… » Le proverbe ne dit-il pas « seul, on va plus vite, ensemble, on va plus loin » ?

Susciter le goût de l’effort

L’intention de Pierre Giorgini, à travers son œuvre : réhabiliter l’effort, susciter le goût du travail.

« On me dit que mes ouvrages sont difficiles à lire, ce qui est vrai. Je dois avoir un style, et même une posture mentale un peu particuliers », concède Pierre Giorgini.  Dans son fonctionnement, il va totalement à contre-courant d’une tendance actuelle des auteurs à « se mettre à la place de leurs lecteurs ». « Il vaut mieux parler avec effort de quelque chose qui nous intéresse que de mal parler de choses qui ne nous intéressent pas », estime le chercheur qui, puisqu’il n’a pas spécialement l’ambition de vendre, ne cherche pas non plus à flatter son public. À la place, il préfère susciter chez lui, « le désir de travailler ».

« Des gens m’écrivent en me disant : « Ce n’est pas normal, j’ai dû aller X fois dans Google ou le dictionnaire pour comprendre le vocabulaire que vous employez. » Je leur réponds que ce n’est pas mon problème. Je n’écris pas un article de presse ou un conte. »

Travailler la nuance

Le président-recteur de l’UCL précise néanmoins qu’il ne s’agit pas, de sa part, d’une posture arrogante à travers laquelle il se place au-dessus de ses lecteurs. « Je veux simplement dire qu’il n’y a rien à faire, ces sujets-là demandent un travail. On ne peut pas parler – y-compris dans une conversation de coin de bar – de l’intelligence artificielle en ne faisant que ressasser des mots que l’on n’a même pas compris ! Donc il faut choisir ses mots et travailler la nuance pour se faire comprendre. Or, la nuance nécessite une très grosse richesse de vocabulaire, et hélas, parfois, du vocabulaire assez anglicisé, parce qu’intraductible. Donc non, mes livres ne sont pas grand public, c’est vrai. »

Un prix qui salue le sérieux d’un travail

L’Académie des Sciences morales et politiques salue la qualité du travail de Pierre Giorgini

« Travailler sérieusement » ne signifie pas, pour l’auteur de La Tentation d’Eugénie, de miser sur le tirage de son livre et l’augmentation de sa popularité. « Recevoir ce prix, c’est recevoir une marque de reconnaissance du travail accompli. L’Académie des Sciences morales et politiques met en jeu sa réputation et choisit scrupuleusement à qui elle remet ces distinctions. Son comité peut ne pas être d’accord avec l’ensemble de mes thèses, mais en tout cas, il salue le sérieux de ma démarche. »

Une œuvre cohérente, autour d’un fil rouge

En 2014, deux ans après son arrivée à la tête de l’Université Catholique de Lille, Pierre Giorgini publie La Transition fulgurante. Vers un bouleversement systémique du monde ?, à partir de son expérience professionnelle, notamment dans la gestion des ressources humaines au sein de l’entreprise Orange, et déjà, à partir de ses premières « confrontations », « à la Catho », avec des philosophes, des théologiens, des éthiciens…

Ce n’est que le début d’un cheminement qui a conduit, depuis, à la publication de trois autres livres : La Fulgurante récréation. De nouveaux lieux et sentiers pour la réinvention du monde, Bayard, 2016, est très lié au premier et nécessite donc sa lecture ; en 2016 également, Pierre Giorgini a publié Au Crépuscule des lieux. Habiter ce monde en transition fulgurante, chez Bayard. Celui-ci peut se lire indépendamment des deux premiers, mais il faut avoir quelques connaissances préalables, dans ce cas, du monde des technosciences ; La Tentation d’Eugénie. L’humanité face à son destin, qui a paru en janvier dernier, est le seul qui puisse être lu indépendamment des autres.

Un cinquième ouvrage est déjà bien engagé. Pierre Giorgini en a déjà imaginé le titre, qui « fixe l’ambition » : Critique de la raison numérique. « En général, précise-t-il, l’écriture du livre m’amène à revoir le titre. »

Le « fantasme » d’un épuisement du réel par la science

Derrière ce titre, l’auteur engage une réflexion sur ce qu’il qualifie de « fantasme de la théorie unifiée du tout », c’est-à-dire sur l’illusion que la science permettra un jour d’expliquer l’ensemble du réel – de la dimension quantique à l’astrophysique en passant par le vivant…  Ce fantasme d’une théorie unifiée du tout n’est pas sans rappeler, pour le président-recteur de l’UCL, la quête ancestrale de l’immortalité. À travers son raisonnement, il tente d’alerter des risques à faire entrer nos sociétés dans ces illusions de possible toute-puissance.

Ce que le chercheur ignore encore, à ce stade, c’est s’il écrira ce nouvel ouvrage totalement seul ou avec l’un ou l’autre de ses nombreux amis chercheurs. Autre inconnue : le temps qu’il lui faudra encore pour mener ce projet à terme, mais il estime sa sortie vers la fin de l’année 2019.